Signer à l’imparfait à la Renaissance
Mathilde Bert
Mathilde Bert est Maître de conférences en Histoire de l’art moderne à l’université Lyon 3. Ses recherches s’organisent autour de deux axes principaux : les rapports entre pratique artistique et théorie de l’art, et l’émulation avec l’Antiquité. Elle travaille actuellement à deux projets : le premier concerne la fortune moderne des signatures formulées à l’imparfait (« faciebat »), à la manière de Polyclète et d’Apelle, et non au parfait (« fecit ») ; le second interroge le rôle de l’héritage antique dans le recours à la monochromie.
À la Renaissance, les peintres et les sculpteurs signent rarement leurs œuvres. Quand ils les signent, ils le font sous la forme d’une brève phrase latine qui indique simplement leur nom lorsqu’elle est purement nominale, mais qui se charge de sens lorsqu’elle emploie un verbe comme pingere (« peindre ») ou facere (« faire ») : l’inscription met alors en valeur le travail de l’artiste, la singularité de son talent, son souci d’honorer les saints ou les saintes qu’il a représentés. Certains artistes reprennent même un prestigieux usage antique rapporté par Pline l’Ancien : le peintre Apelle et le sculpteur Polyclète employaient, non le parfait fecit (« a fait »), mais l’imparfait faciebat (« faisait ») ; ils indiquaient ainsi que leurs œuvres n’étaient pas absolument parfaites et qu’ils les amenderaient si des défauts venaient à leur être signalés. En explorant quelques exemples emblématiques – de Michel-Ange à Titien en passant par Dürer, Raphaël et Andrea del Sarto – nous verrons comment les artistes de la Renaissance se servent de l’imparfait plinien pour répondre à des enjeux multiples et variés.