« Maisons royales » d’après Charles Le Brun, une tenture d’or et de soie à la gloire de Louis XIV.
Marc Favreau
conservateur en chef du patrimoine au musée des Beaux-Arts de Bordeaux. Universitaire, spécialiste des collections des XVIe au XVIIIe siècles au musée des Beaux-Arts, il a organisé et été commissaire de plusieurs expositions : Eloge de Bordeaux, histoire d’une collection, Les nus académiques Bordeaux-Italie. Il a assuré le commissariat scientifique de Poussin et Moïse en 2011, puis de Paris-Montparnasse abstraction d’après guerre en 2013.
La création de la manufacture royale des Gobelins en 1667 s’inscrivait dans la vaste réforme de l’Etat, voulue par Louis XIV et Colbert, et résultait du regroupement d’ateliers parisiens établis dès le règne d’Henri IV, ainsi que des manufactures de Maincy et de Beauvais. Avant même leur désignation respective à la tête de la Surintendance des Bâtiments du Roi et à la charge de Premier peintre du Roi, Colbert et Charles Le Brun travaillèrent ensemble sur le projet, le second obtenant officiellement la direction de la manufacture le 8 mars 1663. En cette même année et, sans doute pour montrer son soutien aux deux hommes, le roi visitait les ateliers dont une pièce de l’Histoire du Roi nous laisse un témoignage. Pour répondre à la demande sans cesse croissante du Garde-Meuble de la Couronne, chargé de l’ameublement des résidences de la famille royale, Le Brun, entouré d’une équipe d’artistes spécialisés, donna des dizaines de projets dessinés et d’esquisses peintes pour des tables, des torchères des guéridons, et autres tentures de tapisseries.
Entre 1662 et 1667, les ateliers terminèrent les pièces commandées par Nicolas Fouquet et saisies après son arrestation mais, dès 1664, les premières créations propres aux Gobelins apparurent avec les Eléments, les Saisons et l’Histoire d’Alexandre. L’année suivante, Le Brun lança le tissage de l’Histoire du Roi, quatorze pièces de grandes dimensions (environ 5m sur 6,90m), commandées par Louis XIV lui-même pour glorifier les épisodes les plus célèbres de ses quatorze premières années de règne (1654-1667) ; il n’en fallut pas moins de quinze années pour sa confection. Pendant qu’il concevait la suite prestigieuse, Le Brun dessina les douze pièces d’une nouvelle tenture qui fut mise sur les métiers à partir de 1668 : la tenture des Mois ou Maisons royales (1668-1683). Le thème se manifesta dans l’art de la tapisserie dès le XIVe siècle avec une tenture de Charles V, et fut repris à la Renaissance avec la suite commandée par Gian Giacomo Trivulzio et exécutée par le lissier Benedetto da Milano à Vigevano en 1509. Le Brun ne connaissait pas ces ensembles mais il s’inspira sans nul doute d’une autre tenture ancienne, les Chasses de Maximilien (1531-1533, Paris, Louvre), qui appartenait depuis la mort de Mazarin aux collections royales.
Pour concevoir les Maisons royales, sept peintres travaillèrent sous la direction de Le Brun pour retranscrire ses dessins : Baudoin Yvart le Père pour les grandes figures, les tapis de pieds et les rideaux, Jean-Baptiste Monnoyer pour les fleurs et les fruits, Pierre Boel pour les animaux et les oiseaux, Guillaume Anguier (Eu, 1628-Paris, 1708) pour les éléments d’architecture, François Van der Meulen pour les petites figures, les paysages et certaines résidences royales (Madrid, Monceaux, Blois et Chambord) qu’il partageait avec Abraham Genoëls (Anvers, 1640-Paris, 1723), et Jean Garnier (Meaux, 1632-Paris, 1705) pour les instruments de musique et les fleurs. Le succès de la suite se confirma par les sept versions en fil d’or en haute et basse lisses, réalisées entre 1668 et 1694, par le tissage de vingt-quatre entrefenêtres rehaussés d’or, par les copies des ateliers de la Marche et par l’utilisation de deux tentures et des entrefenêtres lors du sacre de Louis XV en 1722. Les pièces des Maisons royales présentent les douze mois de l’année, encadrés par un portique d’architecture où figurent des animaux de la Ménagerie royale de Versailles ou des pièces d’orfèvrerie du mobilier d’argent du roi. Les entrefenêtres présentent des scènes extraites des pièces principales. Aucune explication sérieuse ne permet d’établir les liens entre les douze mois de l’année et les résidences représentées. Celles-ci servaient de cadre à des fêtes ou, le plus souvent, à des chasses.
La tenture constitue un document inestimable car elle témoigne de demeures disparues (Mariemont, Montceaux, Saint-Germain-en-Laye), de pièces du mobilier d’argent fondu en 1689 et de tapis perdus.