La naissance de la peinture moderne, de Van Eyck à Bellini et Antonello de Messine
Jean-Pierre Poussou
Professeur émérite, université Paris Sorbonne
Agrégé d’histoire, Docteur es lettres, professeur à l’université de Bordeaux, puis en 1984 à l’université paris-Sorbonne. Il a été Recteur de l’Académie de Bordeaux, puis Président de l’université Paris-Sorbonne. Il a publié plusieurs ouvrages sur Bordeaux, et la vie quotidienne, sur Les villes anglaises du milieu du XVII° et XVIII° siècles, Les Lumières du Médoc.
Le XV° siècle a profondément transformé l’esthétique et les conceptions picturales. C’est le fruit d’une double évolution. D’une part, aux Pays -Bas, l’invasion « de la nature » dans les tableaux et l’évolution du « gothique international » ont transformé la peinture. Ce profond changement trouve son couronnement avec Jean Van Eyck ( entre 1386 et 1400- 1441) qui maîtrise totalement la peinture à l’huile, l’espace et la profondeur et impose sa conception du portrait nouveau, que l’on peut appeler « moderne ».D’autre part, en Italie, ce ne sont ni l’évolution de l’art de peindre ni celle des goûts qui transforment la peinture, mais une construction intellectuelle, une nouvelle théorie artistique dont les débuts ne sont d’ailleurs pas picturaux, mais architecturaux et sculpturaux( Brunelleschi, Alberti, Donatello).Il s’agit de revenir au beau et à la vérité dans l’art, et donc de revenir à l’Antiquité au cours de laquelle ils auraient régné. Il y eut avec Masaccio (1401-1421) une application rigoureuse de la perspective, le recours à un décor à l’antique, un traitement nouveau de la lumière et la création de volumes. L’influence flamande – car les tableaux des Pays-Bas étaient bien connus- amena à mettre l’accent sur la nature, à diminuer voire à faire disparaître le souci archéologique, à amener avec Piero della Francesca (entre 1415 et 1420-1492) un souci beaucoup plus grand des paysages et du coloris, ce qu’amplifia encore Giovanni Bellini (vers 1433-1516) qui pratiqua un art de peindre beaucoup plus proche des Flamands et fut lui aussi un virtuose de la peinture à l’huile. Quant à Antonello de Messine (vers 1430-1479), il amena « une attention nouvelle à la couleur traitée comme un exposant de la lumière et non plus comme une fonction du dessin »,et diffusa largement « les recettes techniques de la Flandre familières aux ateliers de Naples », ce qui eut une profonde influence sur la peinture italienne à venir.
En fait, jusqu’à la fin du XV° siècle la peinture européenne fut davantage dominée par l’influence flamande que par l’influence italienne, mais le foisonnement et l’apogée de la Renaissance à la fin du XV° et au début du XVI° siècle, l’éclosion des grands génies qui l’ont marquée ont eu pour conséquence que l’on a trop minoré jusqu’ici l’importance des Flamands.