Bonnard érotique
Stéphane GUEGAN
Conseiller scientifique de la présidence du musée d’Orsay.
Écrivain, historien et critique d’art, commissaire d’expositions sur Manet et les peintres impressionnistes en France et à l’étranger, Stéphane Guégan a publié plusieurs ouvrages dont Derain en 15 questions, Gauguin voyage au bout de la terre, et plusieurs ouvrages sur Edouard Manet, sur Delacroix et Caillebotte.
Des acteurs du groupe nabi, Pierre Bonnard est le plus habité par l’Eros, les tours et détours de la rêverie amoureuse et du désir charnel. Peinture sexuée, elle fait sienne le livre d’artiste avec la même énergie et le même esprit. Notre propos se construit donc autour de la publication, en 1900, par les soins d’Ambroise Vollard, du Parallèlement de Verlaine, illustré par Bonnard de lithographies tirées en rose. «Livre orgiaque, sans trop de mélancolie », ce bijou éditorial met en scène les amours et les haines du poète, sa double nature de pécheur et de chrétien convaincu, sa double identité sexuelle aussi. Celui qui avait été l’amant de Rimbaud publie une manière de portrait intime en 1889. Onze ans plus tard, Vollard donne une seconde vie au livre. Sans jamais trahir le texte et sa façon de mobiliser les sens, Bonnard laisse ses motifs, femmes entrelacées, faunes exténués ou personnages de Watteau, sortir des marges, envahir la page, culbuter les vers imprimés. Parallèlement abrite enfin le souvenir de maintes compositions du peintre. Un vrai « musée de l’amour », aurait dit Baudelaire.