L’image impossible de Louis XVI
Alexandre Gady
professeur d’histoire de l’art université Paris-Sorbonne. Docteur en histoire de l’art, Alexandre Gady a été maître de conférences à l’université Paris IV-Sorbonne, puis il a été nommé professeur d’histoire de l’art à l’université de Nantes en 2009 avant de revenir à Paris IV en 2012. Spécialiste de l’architecture du XVIIe siècle, particulièrement de l’urbanisme parisien, engagé dans la défense du patrimoine architectural, il a été chargé de mission à la Commission du Vieux Paris et, depuis 2002, il est conseiller scientifique au Centre allemand d’histoire de l’art. Depuis septembre 2011, il est le nouveau président de la SPPEF (Société pour la Protection des Paysages et de l’Esthétique de la France), suite au décès de l’ancienne présidente, Paule Albrecht.
Quand les hommes sont morts, ils entrent dans l’histoire. Quand les statues sont mortes, elles disparaissent à jamais de notre mémoire et de notre patrimoine. A l’occasion des Journées Européennes du Patrimoine, la revue des Dossiers d’Aquitaine nous présente l’histoire de la statue de Louis XVI. Le roi-martyr y fut décapité une seconde fois …. Dans sa séance du 11 août 1821, la municipalité de Bordeaux, à majorité royaliste, vote le principe d’un monument à ériger à la mémoire du roi-martyr Louis XVI et de l’installer sur la place des Quinconces. En 1825, le roi Charles X adopte le projet d’une grande statue en bronze par le sculpteur de renom Nicolas Raggi. Il s’agit d’une statue pédestre en bronze, d’une hauteur considérable de 18 pieds soit 5,83 m, représentant Louis XVI le jour de son sacre, revêtu du grand manteau des cérémonies. La statue devra reposer sur un piédestal à quatre faces qui reproduiront, sous forme de testament, les instructions données par le roi au navigateur Lapeyrouse. La statue est coulée en 1829 par les fonderies Crozatier. La Révolution de 1830 entraîne la chute du roi Charles X et bloque le projet. Le nouveau roi Louis-Philippe remise la statue à la fonderie du Roule dans l’île des Cygnes, sur la Seine. En 1869, à la demande du baron du Bosq, conseiller général de la Gironde, l’empereur Napoléon III autorise l’envoi de la statue au musée de Bordeaux. La statue voyage par le train et arrive à Bordeaux le 30 juillet 1869. Elle est provisoirement déposée dans le jardin de la mairie. Le vicomte Charles de Pelleport-Burète, maire de Bordeaux de 1874 à 1876, souhaite élever la statue sur place, mais il doit démissionner le 16 mars 1876 en raison du succès électoral des républicains. Le projet abandonné, la statue va rester cloîtrée près de neuf ans dans son baraquement du jardin municipal et ce n’est que le 26 janvier 1877 qu’une délibération du maire Émile Fourcand ordonne qu’une salle en construction dans le Musée de Bordeaux lui soit réservée. En mars 1878, la statue de Louis XVI prend enfin place dans une arrière-salle du Musée de Bordeaux. La polémique s’installe et enfle rapidement. La rumeur laisse entendre que les républicains exigent que la salle de la statue soit séparée par un rideau des autres salles qu’on ne lèverait qu’après avoir demandé aux visiteurs si la vue de l’effigie du roi ne les choquerait pas alors que les royalistes protestent contre la mise en place de la statue dans la dernière salle du musée, laissant ainsi croire au peuple que le roi est à nouveau en prison.
Le 27 octobre 1941, le conservateur du musée, M. Lemoine reçoit une notification indiquant que d’après la loi du 11 octobre 1941 sur la mobilisation des métaux non-ferreux, la statue doit être fondue. Il intervient auprès d’Adrien Marquet, maire de Bordeaux et ancien ministre d’État au gouvernement de Vichy. Le Maire répond qu’il a la triste mission d’assumer, de défendre, sans espoir de succès, le patrimoine artistique de notre Ville, devant des ordres absolument stricts venus de Paris (lettre du 9 décembre 1941). Le lundi 29 décembre, les ouvriers des deux entreprises chargées de démanteler la statue se présentent au musée. Dans une dernière tentative, le conservateur propose de faire réaliser une œuvre en réduction. Le projet est refusé. Le découpage de la statue s’achève fin février 1942 et rapporte 12.587 kg de bronze. Sur les 500 tonnes de métaux récupérées, sous la pression allemande, par le Ministre de la production industrielle, la Gironde aura fourni 20 tonnes représentant 28 monuments démantelés. Cette statue remarquable par ses dimensions, aux yeux des critiques d’art était loin d’être un chef-d’œuvre architectural. Sa triste trajectoire, victime d’événements politiques incontrôlables pourrait, nostalgiquement, se rapprocher de celle du roi Louis XVI (Les Dossiers d’Aquitaine).