Ill. Giovanni Battista Piranèsi, Les Prisons, gravure

Les Prisons de Piranèse : vision ou spectacle ?

Alain Mérot

Alain Mérot est professeur émérite d’histoire de l’art moderne à la faculté des Lettres de Sorbonne-Université. Auteur de nombreux ouvrages, principalement sur la peinture française et européenne du XVIIe siècle, il a publié en 2025 aux éditions Le Passage, L’Atelier de la Grâce (en collaboration avec Anne-Marie Lecoq).

 

Dans l’immense production gravée de Giovanni Battista Piranesi (1720-1778), qui concerne l’architecture, les antiquités et la décoration, Les Prisons occupent une place privilégiée. Non par leur nombre (la seconde édition du recueil, en 1761, compte seulement seize planches sur un œuvre de plus d’un millier de pièces), mais par leur singularité qui devait frapper l’imagination des générations suivantes, des Romantiques aux Surréalistes, de William Beckford à Jorge Luis Borges. Aujourd’hui encore, elles nous semblent refléter la condition de l’homme, jeté sans repères dans le temps et dans l’espace et soumis aux cruautés d’une histoire qui le dépasse.

Il est cependant nécessaire, pour mieux les comprendre, de les replacer dans le contexte culturel de leur temps comme dans la production multiforme de l’artiste. Vénitien d’origine et architecte de formation, plus enclin à imaginer qu’à bâtir, à l’instar de ces décorateurs de théâtre qui connaissent alors en Italie un véritable âge d’or, Piranèse arrive à Rome en 1740. Fasciné par la grandeur des ruines qu’il étudie en détail dans leur structure comme dans leur ornementation, il les représente de façon dramatique dans les Vues de Rome qui feront sa gloire. Les Prisons constituent dans son œuvre une synthèse du « caprice d’invention » à la vénitienne et de l’étude archéologique des constructions de la Rome antique. S’y ajoute sans doute une réflexion critique sur les limites de la liberté, la loi et la punition – thèmes qui préoccupèrent nombre de penseurs au XVIIIe siècle.

Le tout est orchestré par un technicien virtuose, qui joue des possibilités de la gravure à l’eau-forte, du jeu qu’elle permet entre ombre et lumière. Si Les Prisons ont pu être interprétées comme la vision personnelle d’un moraliste engagé, voire d’un angoissé transcrivant ses cauchemars jusqu’au vertige, elles sont d’abord un spectacle, organisé de façon lucide par un créateur de génie.

DATE

06/03/2026

Lieu

Bordeaux Athénée amphithéâtre Wrésinski

Durée

de 18H à 19H15

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