Claude Lorrain et les origines de Rome
Alain Mérot
Agrégé de lettres classiques, Alain Mérot est professeur émérite d’histoire de l’art moderne à Sorbonne-Université (Faculté des lettres). Spécialiste de l’art du XVIIe siècle, on lui doit entre autres des ouvrages sur Eustache Le Sueur, Nicolas Poussin, la peinture de paysage et la notion de « baroque ». Ses travaux actuels portent sur Simon Vouet et sur la grâce dans l’art occidental. Il vient de publier Poussin, le peintre et le poète, Paris, Klincksieck, collection « Les mondes de l’Art ».
Rome a toujours été au cœur de l’inspiration de Claude Lorrain (1600-1682). Ses ruines glorieuses, ses statues et autres fragments antiques, sa campagne où la mythologie rencontre la pastorale : tout évoque une grandeur passée qu’il n’a cessé d’exprimer d’une façon de plus en plus personnelle. Jusqu’à sa mort, à quatre-vingt-deux ans, il continue de peindre régulièrement, même si le rythme de sa production se ralentit. La construction de ses paysages demeure grande et calme, mais un lyrisme nouveau se fait jour. On y sent la recherche d’un accord poétique toujours plus aigu entre la nature et des sujets devenus plus ambitieux, voire ésotériques. Les prestigieux clients du peintre – princes, ambassadeurs ou prélats – se plaisaient à lui faire évoquer, par le biais des héros de l’Antiquité, des allusions à leur lignage et à leurs préoccupations. L’histoire d’Enée, chantée par Virgile, convenait particulièrement à une noblesse romaine qui revendiquait ainsi ses mythiques origines troyennes. Elle délivrait aussi une leçon morale : les épreuves surmontées par le « pieux Enée » signifiaient le triomphe de la vertu sur l’adversité. Claude ne fut pas seulement le génial inventeur d’une formule de paysage qui rayonna dans l’Europe moderne. Il fut aussi le grand poète du génie d’un lieu, des origines et du destin de Rome. C’est toute sa singularité, voire son étrangeté, qu’il faut savoir redécouvrir.